Politique

J'étais aumônier à Fresnes

Par l'Abbé Popot40

22/8/1963

 

« J'étais prisonnier et vous m'avez visité ». Ce mot du Christ revient comme un leitmotiv dans le livre autobiographique que M. L'Abbé Popot consacre aux années où il fut aumônier de la prison de Fresnes. Ce livre est poignant. On y plonge dans les plus profonds abîmes de la détresse humaine. Cet ouvrage rétrospectif parle surtout des années qui suivirent la libération : mais il y a toujours des prisonniers parmi nous. Des torrents de souffrance dévalent toujours entre les murs des Maisons Centrales. « Maison Centrale », le nom même a quelque chose d'accusateur. Il place le phénomène concentrationnaire au centre même de notre civilisation. Pouvons-nous dormir tranquille pendant ce temps là ?

Certes, dans le livre de M. l'Abbé Popot, on regrette quelques allusions politiques inutiles et qui risquent surtout d'être mal comprises de ses lecteurs. L'Aumônier de Fresnes rend hommage à l'aide que lui a apportée Maurice Schumann. Il fait hommage au fait qu'il lui a suffi d'intervenir auprès de Pierre-Henri Teitgen, alors Ministre de la Justice, pour que cessent bien des situations pénibles. Moyennant quoi, ayant rendu justice à des MRP responsables, il se fait l'écho d'accusations vagues et globales contre leur parti. En cette attitude il est assez typique d'un certain milieu bien-pensant où, si on prononce le nom de Robert Schumann, d'André Colin, de Pierre Pflimlin, de Jean Lecanuet ou de Joseph Fontanet, on s'esclaffe que ce sont les meilleurs hommes d’État de notre Temps, moyennant quoi on accuse le MRP de tous les péchés d'Israël... Par contre le livre de M. L'Abbé Popot situe le rôle affreux du Parti Communiste dans les années 45 et suivantes ; un rôle qu'on n'a que trop tendance à oublier maintenant que le loup s'est enfariné la gueule. L'auteur évoque par des exemples poignants la volonté communiste de faire les hommes se haïr.

Mais l'importance et l'intérêt de ce livre résident ailleurs. Il est (d'une façon d'autant plus percutante que l'auteur n'en poursuit pas le dessein) le réquisitoire le plus décisif qu'on ait jamais prononcé contre la peine de mort. Je ne vois pas comment après cette lecture on peut ne pas en vouloir de toute sa force l'abolition. En dévorant ces pages, je me rappelais les réponses laborieuses de mon catéchisme sur le droit de la Société à se défendre. Mais vraiment, par la peine de mort se défend-elle ? Ou ne s'impose-t-elle pas plutôt une dégradation supplémentaire ?

Car, à propos de la peine de mort on parle toujours du condamné, on oublie les autres, les bourreaux, les juges, les accusateurs. Peut-on penser sans frémir qu'il existe à notre époque un fonctionnaire dont le métier est de tuer ? Et la charge est pratiquement héréditaire. Il existe un fonctionnaire dont le métier est de faire tomber le couperet de la guillotine, pour qu'un corps soit séparé de sa tête, et de faire vivre à un homme cette minute atroce où il entend que le fer glisse contre le bois. On ne guillotine plus beaucoup, il est vrai. Mais ce sont des soldats, des malheureux soldats à qui on impose de tuer un homme ligoté. Ils ont à tirer sur un homme sans défense. Ils en verront, sous leurs balles, l'horrible sursaut. Le sous-officier qui commande le peloton devra achever froidement le moribond. N'a-t-on pas pitié de ces soldats ? N'a-t-on pas pitié de ce sous-officier ? Une société a-t-elle le droit de leur imposer ce rôle ? Leur apprenant à tuer « à froid » elle prend un risque redoutable. Mais notre société sait très bien qu'elle n'a pas ce droit, car elle biaise et ruse : une des armes n'est chargée qu'à blanc, pour que chaque soldat puisse espérer que ce n'est pas lui qui a tué. La précaution est illusoire, mais elle constitue un aveu.

Je pense aussi à l'accusateur public qui doit requérir qu'un homme soit tué. J'ai connu un procureur qui se vantait d'avoir obtenu quarante condamnations à mort : il s'en vantait comme d'un palmarès, le malheureux ! Il avait été voué par la Société et ses lois à cet étrange sort que la mort d'un homme devienne un élément dans sa carrière. Le nombre des morts obtenues témoignait de sa qualité professionnelle.

Et cet autre homme, le Président de la République, dont la signature (une simple signature, cet acte abstrait et anodin) ou bien conserve une vie, ou bien tue ! Comme j'en ai pitié de cet homme ! M. L'Abbé Popot a des pages redoutables au sujet du Président Vincent Auriol. Rendons à celui-ci cette justice que sur la fin de son septennat il acceptait tous les recours en grâce. Mais chaque Président, et le plus grand, n'est jamais qu'un homme, cet amalgame de viscères et de passions – une âme prisonnière des glandes ! Malheureux que la Société accable d'une telle responsabilité, et qu'elle condamne à en répondre un jour devant le Juge Éternel. Oui, vraiment, peut-elle le charger d'un fardeau d'autant plus redoutable qu'il n'en sent peut-être pas tout le poids? N'est-il pas  tragique que la loi puisse amener un homme à disposer de la vie de celui dont il faillit dans un attentat être la victime, cumulant en sa personne les rôles contradictoires mais tous écrasants de plaignant, d'accusateur, de juge et de bourreau ? La Société qui écrase un homme de ces multiples rôles est un bien grand pêché collectif.

Ces aurores souillées, où des hommes – juges, procureurs, policiers, chauffeurs, médecins légistes, avocats – viennent en voir mourir un autre...

 


40 Librairie académique Perrin.